Conclusion

  1. La conclusion met en évidence les résultats les plus importants de ce travail pour, ensuite, en discuter certains aspects méthodologiques; finalement, elle propose quelques recommandations autour de la problématique de l'allocation locale des ressources.

     

    Les résultats principaux

    1. Les formules d'allocation locale des ressources naissent, principalement, d'une préoccupation d'équité dans la distribution des ressources affectées à la santé. Fer de lance de la distribution de l'essentiel des moyens pour les hôpitaux et les soins primaires en Grande-Bretagne, l'allocation prospective locale permet d'éviter des distributions purement historiques et/ou déconnectées d'une appréciation des besoins . Elle a, en outre, l'avantage d'être explicite et transparente.

      La Belgique, en ce qui concerne le niveau fédéral des soins de santé, a mis progressivement en place une clé de répartition du budget entre les organismes assureurs tenant compte en partie des besoins relatifs du public de chacun de ceux-ci. Elle peut être améliorée en considérant la longue expérience des RAWPS britanniques et en s'insérant dans une démarche plus transparente. En matière de promotion de la santé, compétence des communautés, le décret de juillet 1997 de la Communauté française de Belgique octroie une place substantielle à des Centres Locaux dans la coordination de la promotion de la santé au niveau local . Ce mouvement de décentralisation s'articule avec le développement d'une planification centralisée via un plan quinquennal et un Conseil Supérieur. Ce contexte réglementaire est propice à la mise en place d'un mécanisme d'allocation des ressources au niveau local.

      Utilisant une méthode tirée de l'analyse spatiale, ce travail a mesuré l'importance de l'ancrage géographique de la mortalité. La mortalité prématurée toutes causes est spatialement très corrélée : le taux de mortalité d'une commune est largement lié à celui des communes contiguës . Les bronchites pulmonaires obstructives et le cancer du poumon (dont le tabac est un facteur de risque), la cirrhose du foie (proxy de l'alcoolisme), la surcharge pondérale (liée à l'alimentation) et les taux d'admission hospitalière (liés à la morbidité en général) présentent une configuration spatiale très corrélée .

      La présentation cartographique du taux de mortalité ou d'incidence pour quelque 12 causes, ainsi que de la surcharge pondérale des hommes de 18-30 ans et du taux d'hospitalisation, ouvre la voie à une analyse descriptive spatiale nouvelle de la santé. Elle permet de mettre en évidence certains phénomènes intra-régionaux difficilement abordables par le niveau de l'arrondissement comme, par exemple, les différences entre un centre urbain et sa périphérie.

      L'analyse s'est également portée sur les facteurs sociaux de la mortalité et mis en évidence des élasticités impressionnantes dès lors qu'une approche factorielle est considérée . Pour 1% d'augmentation de la précarité matérielle et démographique au niveau communal (mesurée sur 12 indicateurs), le taux standardisé de mortalité avant 65 ans augmentera de 0.7% au niveau communal et la surcharge pondérale de 0.2% . Le pouvoir explicatif des facteurs sociaux sur la mortalité prématurée, avec 54% de la variance expliquée, est très important . Cela plaide clairement pour une prise en compte de la dimension sociale en ce qui concerne la promotion de la santé .

      Il faut toutefois noter que les facteurs sociaux ont un pouvoir explicatif plus faible sur la mortalité par cause ce qui peut s'expliquer par des raisons méthodologiques et théoriques ; en premier lieu, il est possible que les facteurs sociaux et la mortalité toutes causes (MTC) soient soumis à des facteurs confondants non-observés (par exemple, l'état de l'environnement, les interactions entre les individus) qui n'aient pas le même poids sur la mortalité spécifique; en deuxième lieu, la mortalité toutes causes agrège également le poids des facteurs sociaux de chacune des causes; enfin, la mortalité par cause est plus sujette à des problèmes de validité que la MTC et les causes considérées ici n'absorbent que 44% de la mortalité totale .

      Les indicateurs socio-économiques qui contribuent le plus à expliquer la mortalité prématurée sont la possession de la voiture, la structure de la famille, l'isolement et le revenu médian. Aucune de ces variables n'a été considérée ou retenue dans la clé de répartition entre Organismes Assureurs .

      Le modèle ajuste relativement bien la mortalité prématurée toutes causes mais faiblement l'admission hospitalière, considérée ici comme un proxy de besoins de services de promotion de la santé. Il est toutefois intéressant de noter la relation très nette entre hospitalisation et densité de l'offre de médecins spécialistes, ce qui peut traduire deux processus : l'offre de médecins spécialistes pourrait être un vecteur de besoins de santé non mesurés par les données de mortalité et/ou être un vecteur d'induction de la demande par l'offre . L'offre de généralistes n'influence pas l'hospitalisation .

      Les indices calculés sur base des résultats antérieurs mettent en évidence des besoins en ressources qui, à population constante, modifient légèrement l'allocation d'une zone à l'autre, selon la perspective choisie . Si la relation entre besoins en ressources et mortalité est supposée égale à 1, les indices varient entre 83 et 107 ; si l'objectif est de favoriser une approche par les facteurs sociaux de la santé, les indices oscillent entre 91 et 107; enfin, si la formule d'allocation veut rendre compte de la relation entre utilisation des services et besoins (mortalité et facteurs sociaux), les indices passent d'un minimum de 95 à un maximum de 102.

      Les indices permettent aussi d'allouer des ressources au niveau local pour des programmes spécifiques. Ainsi, dans le domaine de la prévention des assuétudes, les indices varient de 61 à 120 , ce qui signifie qu'à population donnée, certaines zones ont un besoin en ressource de 40% inférieur à leur part démographique.

       

    Aspects méthodologiques

    1. Les variables utilisées dans ce travail présentent certaines lacunes qui pèsent sur les résultats . Les variables de mortalité ne reflètent pas bien l'impact des affections chroniques et de l'invalidité sur le budget des services de santé(76). La modélisation britannique a l'avantage de pouvoir compter avec une information plus précise et fine sur la santé grâce à l'inclusion dans leur recensement de 1991 de quelques questions générales sur la santé . Il s'agit là d'une initiative qui pourrait être promue à l'occasion du prochain recensement belge .

      En outre, il faut noter un certain degré de discordance entre l'incidence mesurée par le RNC et la mortalité (INS) pour des cancers létaux. En prenant la mortalité pour référence, il y aurait une différence de 20% entre les données d'incidence et de mortalité par cancer du poumon .

      La variable sur l'utilisation des services de santé (l'hospitalisation) n'est pas satisfaisante et il serait souhaitable de disposer d'informations plus précises sur l'utilisation de services de première ligne, de dépistage et de prévention, de manière à réaliser une modélisation qui s'attache plus précisément aux services de santé proches des moyens d'action de la promotion de la santé .

      Le niveau d'agrégation utilisé dans le modèle (commune de fusion) est un progrès par rapport au niveau de l'arrondissement mais reste encore insatisfaisant pour les grandes agglomérations disposant d'une hétérogénéité interne importante(60,77) . L'accessibilité à des données de mortalité au niveau infra-communal est nécessaire à cet égard.

      L'approche par le niveau communal est certes un progrès dans la modélisation. Il reste que la commune, avec une moyenne de 17000 habitants, peut présenter une forte hétérogénéité interne, susceptible de produire des erreurs écologiques lors de la modélisation . La modélisation simultanée au niveau individuel et écologique est la seule manière d'appréhender la relation complexe entre facteurs sociaux et santé.

      Le modèle et les formules d'allocation n'ont pas intégré les coûts relatifs des services préventifs des différentes pathologies considérées dans ce travail . Il est vraisemblable que, par exemple, la prévention par vaccination des affections respiratoires (via la vaccination contre la grippe ou le pneumocoque) n'aie pas le même coût unitaire que la prévention du cancer du poumon (via, entre autre, l'éducation à la santé) ou que la prévention des maladies sexuellement transmissibles . Ce différentiel de coût n'a pas été pris en considération et requiert, pour être appliqué, une information sur les coûts relatifs des différents services et programmes envisagés.

       

    Recommandations

    L'objectif premier des formules d'allocation est la quête d'une plus grande équité dans l'accessibilité aux ressources et services . En matière de promotion de la santé, la problématique de l'équité dans l'utilisation des services de médecine préventive et des programmes d'éducation à la santé reste plus que d'actualité (56,57,82,96) et est, par ailleurs, explicitement reconnue dans le décret de juillet 1997 ((39), art. 17) . La présente proposition peut donc apparaître comme une contribution modeste vers une plus grande équité de la promotion de la santé.

    Il est hors de notre propos de considérer que ces formules soient le meilleur moyen d'assurer l'objectif d'équité dans la distribution des ressources. La mise en œuvre d'une formule d'allocation et de tout mécanisme d'affectation des ressources dans le secteur de la santé requiert une large discussion et appréciation des choix théoriques et méthodologiques qui soutiennent la démarche. Les expériences scandinaves et britanniques en cette matière en sont arrivés à la conclusion qu'il faille mettre l'accent sur la transparence et la négociation des processus(50) de planification et d'allocation . A cet égard, le présent travail pourrait, par exemple, être soumis à la discussion du Conseil Supérieur de la Promotion de la Santé .

    Le développement d'instruments de collecte d'informations au niveau local devient une priorité dès lors que les besoins sont placés au centre du processus de planification et décision . L'insertion de questions liées à la santé dans le prochain recensement en utilisant un protocole similaire à celui du panel de démographie de l'Université de Liège et d'Anvers est une idée qui mériterait d'être exploitée .

    La relation entre "besoins" et "utilisation des services" comporte toujours bon nombre d'inconnues, dans le secteur de la santé (79). Le développement d'un mécanisme d'allocation locale des ressources doit, à terme, reposer sur une meilleure connaissance empirique de la relation entre ces deux termes. Cela est d'autant plus important que, dans certains cas, la "demande" de services de promotion de la santé peut être nulle en dépit de besoins réels . Il est donc important de connaître la distribution de l'utilisation des services de promotion de la santé, qu'ils relèvent d'une structure de médecine préventive collective, de services préventifs financés par les soins de santé ou des programmes d'éducation à la santé .

    L'approche spatiale de la mortalité, de la surcharge pondérale, de l'hospitalisation et des facteurs sociaux a un intérêt crucial pour le pilotage des politiques de santé . En effet, la réduction des inégalités géographiques des besoins doit devenir une des priorités des politiques de santé de notre communauté . Nous avons proposé un indicateur permettant de mesurer l'ampleur de l'ancrage spatial de la santé pour des pathologies vulnérables à de la prévention primaire et secondaire; ce dernier pourrait être suivi périodiquement et faire l'objet de plans et d'actions ad hoc.

    L'allocation des ressources ne préjuge pas du mode d'utilisation effective de ces dernières . Une allocation équitable est donc une condition nécessaire mais non suffisante à la réalisation d'objectifs d'équité dans le domaine de la santé . Il serait donc utile de disposer d'informations sur les caractéristiques des utilisateurs des services de promotion de la santé .

    En dépit de la croissance récente des tickets modérateurs et de problèmes réels d'accessibilité aux soins pour certaines couches spécifiques de la population (malades chroniques, SDF, minimexés), le système des soins de santé belge apparaît relativement équitable (26). La forte relation observée, dans ce travail, entre les facteurs sociaux et les indicateurs de santé confirme la thèse que l'égalité de la santé ne peut pas être envisagée dans le seul cadre des soins de santé . L'approche communautaire et multi-sectorielle de la promotion de la santé est sans doute une opportunité pour ouvrir l'angle d'approche de la santé et de sa distribution inégale dans la population sur d'autres bases méthodologiques. L'exploitation des synergies au niveau local doit être considérée comme une priorité dans la mise en œuvre d'une politique de promotion de la santé avec les centres locaux de promotion de la santé, les médecins de famille, les travailleurs médico-sociaux, les hôpitaux, les maisons de repos, les services d'aide et de soin à domicile, les acteurs de la santé infantile et scolaire peuvent exploiter leurs synergie afin de relever ce nouveau défi des services de la santé : réduire les inégalités sociales et géographiques dans ce domaine .