Une deuxième raison tient aux inégalités en matière de santé, stigmatisées par l'OMS, dont l'ampleur et l'impact ont amené cette institution à proclamer l'équité comme premier objectif dans ses buts de la santé pour tous. Les écarts de distribution de la santé dans la population sont des objectifs tout aussi importants que son niveau moyen.
En troisième lieu, les systèmes de services de santé et d'assurance poursuivent des objectifs d'équité3 sociale dans l'allocation des moyens. L'équité socio-économique en matière de services de santé est réifiée en objectif sous-jacent à tout notre système de protection sociale, indépendamment des liaisons établies entre santé et facteurs sociaux .
Une dernière raison milite en faveur de l'inclusion d'objectifs en matière de conditions de vie : les ressources individuelles et collectives permettent aux individus d'accéder à un meilleur niveau de bien-être. Les aspects sociaux du bien-être renvoient ici à un ensemble de facteurs de santé, offrant ainsi à l'action sociale dans son sens large, des leviers d'action sur la santé de la population. L'objet de ce travail n'est pas de synthétiser les résultats d'études sur les relations entre facteurs sociaux et santé. Une littérature abondante existe à cet égard, surtout dans les pays anglo-saxons.
Toutefois, la reconnaissance d'objectifs en cette matière pour la promotion de la santé n'est guère aisée. Malgré les grandes orientations posées par feu le Conseil Consultatif Communautaire en Prévention de la santé4 (égalité en matière de styles de vie, de conditions fondamentales d'accès aux services et de milieux de vie) plusieurs difficultés se présentent pour la reconnaissance et le pilotage d'objectifs sur le bien-être social en matière de promotion de la santé .
En premier lieu, si le diagnostic en matière d'inéquité sociale en matière de santé a été largement établi5 , les mécanismes expliquant la liaison entre statut social et niveau de mortalité et morbidité sont encore mal connus, de sorte que les possibilités d'intervention sur cette question sont mal cernées. D'une part, il n'est pas sûr que les inégalités sociales en matière de santé s'expliquent par un état de précarité matérielle6: certes les personnes pauvres se trouvent plus souvent confrontées à une santé plus fragile7 8 9 et il est indéniable que certains indicateurs (comme le taux de mortalité infantile) sont en liaison étroite avec certains indicateurs de richesse, comme le revenu ou le PIB par tête d'habitant10 11 . Toutefois, il apparaît de plus en plus clair que les inégalités socio-économiques en matière de mortalité apparaissent comme un gradient affectant la santé indépendamment des conditions matérielles de vie. Il en est de même pour les styles de vie : s'il est bien établi que les catégories sociales plus défavorisées ont une prévalence de comportement à risque plus élevé12 , ce facteur n'explique qu'une faible partie du gradient total en matière de mortalité. Depuis quelques années, le concept de support social et la théorie du stress s'efforcent d'approcher cette question par un autre biais : ce n'est pas tant le niveau de précarité économique qui explique le gradient, mais le support social, le niveau de stress et l'interaction entre ces deux variables qui rendraient compte de la relation entre facteurs socio-économiques et santé13 14 15 .
En deuxième lieu, il est probable que la capacité des acteurs investis dans la promotion de la santé d'agir sur ces facteurs sociaux est marginal. Faut-il fixer des objectifs en cette matière au risque d'inclure des problématiques (comme la pauvreté, le chômage,...) sur lesquelles les acteurs de la promotion de la santé (ONE, IMS-PMS, Education Santé, FARES, CLC,..) ont peu de prise directe ? A l'inverse, il est toutefois bon de rappeler que la santé se produit dans tous les recoins du système social et que la promotion de la santé manifeste une vocation multi-sectorielle. L'option prise par le plan pour la santé et le bien-être du Gouvernement du Québec, et dans ce tableau de bord, est d'inclure des problèmes sociaux indicatifs de bien être social comme les SDF, la maltraitance, la délinquance16 , on peut y ajouter des indicateurs moins extrêmes, mais aussi plus fréquents de mal être social : le divorce, l'absentéisme, le décrochage scolaire, bien que les moyens d'action restent ici encore peu clairs.
En troisième lieu, le choix d'objectifs en la matière doit reposer en partie sur la vulnérabilité de la liaison entre facteurs sociaux et santé à l'intervention en cette matière. Il existe actuellement de nombreuses études portant sur des programmes spécifiques et quelques études s'efforçant de systématiser ces résultats17 18 , afin de tirer des conclusions et des leçons sur la question de la vulnérabilité. D'une manière très générale, les mesures structurelles (aide financière, accessibilité aux services) et d'aide alimentaire directe ressortent comme ayant le plus de résultats.
Enfin, la problématique de l'équité en matière de services de santé (dont les soins de santé) dans laquelle le plus d'unanimité semble se produire se révèle être une boîte de Pandore lorsqu'il s'agît de préciser ce que l'on entend par équité19 20 en santé . Quatre conceptions se complètent :
Une première définition, celle de l'OMS et de Culyer et
Wagstaff, est l'égalité de la santé.
Une deuxième définition, consiste à prôner
l'équité d'accès aux facteurs de santé, c'est-à-dire
aux conditions sociales productrices de santé; c'est la philosophie
qui prévaut dans la politique de soins de santé primaires
et celle du développement visant en priorité à satisfaire
les besoins de base des plus démunis.
Dans une troisième définition, l'équité
est parfois entendue comme la répartition des moyens par tête
d'habitant en fonction des besoins. Dans cette acception, elle est souvent
utilisée dans l'allocation régionale des ressources : elle
est sous-jacente au rapport JADOT en Belgique et aux RAWP anglais.
L'équité comme l'égalisation de l'utilisation
à besoins égaux est une définition souvent utilisée
mais qui achoppe sur la définition des besoins : besoin comme degré
de morbidité, besoin comme capacité à bénéficier,
besoin comme dépense en soins dont il devrait disposer, besoin comme
dépenses dont il devrait bénéficier pour épuiser
sa capacité à bénéficier, égalisation
des besoins marginaux satisfaits.
L'équité est, dans une dernière définition,
considérée comme l'égalisation de l'accessibilité
des services (dont les soins) de santé . Toutefois l'accessibilité
peut être définie de multiples manières : utilisation
effective égale, égalisation du coût unitaire21
, égalisation de la quantité de soins consommables22
(qui tient compte des différences de revenus), égalisation
du surplus du consommateur (qui tient compte des différences dans
les courbes d'utilité).
Dans le présent travail, nous considérerons successivement ces divers points de vue. Pour l'approche par l'équité, nous avons retenu une définition opérationnelle : l'égalisation de l'utilisation effective des services de santé à besoins égaux, ceux-ci étant mesurés par le taux de morbidité des individus. La standardisation selon les catégories démographiques permet de tenir partiellement compte du concept de capacité à bénéficier. Toutefois, cette opérationnalisation laisse en suspend la question des différences des courbes d'indifférence et des capacités à bénéficier.
1 DELIEGE D, Les indicateurs de bien-être physique, mental et social, OMS, in Statistiques sanitaires mondiales, 1983 (36) n° ¾ : 349-393
2 Définition OMS, voir à ce sujet la discussion de l'utopie OMS sur la santé-bien-être dans Bury, 1988.
3 OMS, Les buts de la santé pour tous : la politique de santé de l'Europe. Copenhague, OMS, 1993
4 Conseil Communautaire Consultatif En Prévention De La Santé, Les buts de la santé pour tous" de l'OMS . Quelle réalité en Communauté française de Belgique ? CFB, Bruxelles, 1989
5 Surtout dans les pays Anglos-Saxons;
6 Voir toutefois EVANS RG, Health, Hierarchy and hominids - biological correlates of the socioeconomic gradient in health in Cuyler and Wagstaff, Reforming Health Care systems, Edward Elgar,Cheltenham 1996.
7 Fondation Roi Baudouin, Rapport Général sur la Pauvreté, Fondation Roi Baudouin, 1994.
8 GAVRAY C, BORN M, Dynamique des inégalités, Programme de recherche en sciences sociales, SSTC, 1994.
9 LEROY X, DELIEGE D, GOMMERS A, VUYLSTEEK K, DE PRINS L, DE CRAENE I, TASNIER C, Intervention majorée de l'Assurance Maladie et consommation de soins des VIPO, Bruxelles, INAMI, FRSM, 1985, 171 + 138.
10 WORLD BANK, World Developpement Report 1993 : investing in Health, Oxford University Press, 1993.
12 PEETERS RF, RANCKAERTSJ, Social inequalities in health-related lifestyles, in Archives of Public Health, 1992 (50) :105-123.
13 OAKLEY A, HICKEY D, RIGBY AS Life Stress, support and class inequality : explaining the health of women and children; in European Journal of Public Health, 1994 (4) 81-91.
14 BRUCHON-SCHWEITZER M, DANTZER R, Introduction à la psychologie de la santé, PUF, 1994.
15 LOBEL M, Conceptualizations, measurement and effects of prenatal maternal stress on birth outcomes in J-Behav-Med. 1994 Jun; 17(3): 225-72.
16 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Ministère De La Santé Et Des Services Sociaux, Les indicateurs de la politique Québecoise de la Santé et du Bien-être , Montréal, 1995
17 CURRIE J, Welfare and the Well-Being of Chilcren, Fundamentals of pure and Applied Economics, 59, Harwood Academic Publishers, Chur, 1995.
18 GEPKENS A, GUNNING-SCHEPERS LJ, Interventions to reduce socioeconomic health differences : a review of the international literature. in European Journal of Public Health, 1996 (6), n°3. 218-226.
19 Voir la très bonne et concise discussion in CUYLER AJ, WAGSTAFF A, Equity and Equality in health and health Care, in Journal of Health Economics, 1993 (12) 431-457.
20 MOONEY G, Economics, Medecine and Health Care. Harvester Wheatsheaf Hertfordshire 1992.
21 Le Grand, The Strategy of Equality : Redistribution and the Social Services, Allen and Unwin, Londres, 1982.
22 OLSEN EO, ROGERS DL, The Welfare economics
of the US and the UK, Journal of Pubic Economics, 45, 91-106.