Etat de la question

Géographie de la Santé

Indices de précarité

Allocation prospective

Et en Belgique ....

L'allocation locale des ressources est une question opérationnelle donnant l'occasion d'articuler autour d'un même problème divers aspects de la planification des services de santé : la mesure des besoins en santé, la distribution géographique de ces derniers, le rôle des facteurs sociaux dans les besoins, l'équité dans l'allocation des ressources, le poids de l'offre sur l'utilisation des ressources , la construction d'une formule .

Quelques pays de l'OCDE disposent d'une longueur d'avance en ce qui concerne cette problématique. Il est donc apparu intéressant d'en faire le point, afin d'élaborer la présente proposition sur une accumulation de connaissances et, en même temps, d'une reconnaissance de leurs limites . L'état de la question sera organisé autour de trois thèmes : la géographie de la santé, les indices de précarité socio-économique et les mécanismes d'allocation spatiale des ressources de santé . Cette revue de la littérature nous amènera à répondre à trois questions :

 

L'apport de la géographie de la santé

L'analyse géographique de la santé s'est particulièrement développée en relation avec les politiques sanitaires des Etats dès le 18ème siècle(75) . Elle a longtemps porté sur la relation entre la mortalité et les aspects topographiques et climatiques de l'espace et a permis, par exemple, de mettre en relation les pics épidémiques du choléra avec les mécanismes d'adduction d'eau à Londres(21).

L'approche géographique de la santé, dans sa phase contemporaine a évolué dans 5 sens :

Une approche cartographique des principaux problèmes de santé, des épidémies et de la distribution de la mortalité. En Europe, ce courant a notamment produit un atlas de la mortalité évitable(49) .

Une approche spatio-temporelle visant à mettre en lumière l'évolution dans le temps de la distribution spatiale des phénomènes de santé(7) afin, par exemple, de mesurer l'évolution des disparités spatiales de mortalité . Dans le cas de la France, il a ainsi été montré, sur base de l'évolution du coefficient de variation de la mortalité interdépartementale, que les inégalités spatiales de mortalité ont diminué depuis le début du siècle .

L'absence de données individuelles relatives à des facteurs de risque de type socio-économique a nourri des recherches effectuant à un niveau d'agrégation supérieur ce qui ne peut se faire à un niveau individuel(101) .

Une approche centrée sur la géographie des soins de santé et appelée "géographie médicale" , visant à mieux mettre en évidence les pôles d'attraction , les mouvements de patientèle, la répartition géographique des ressources et équipements . Les nombreux travaux du CREDES sont une illustration de ces efforts pour mieux mettre en évidence la distribution spatiale des ressources de santé le plus souvent en liaison avec des mécanismes de planification, tels que les Schémas Régionaux d'Organisation des Soins (SROS) .

Le développement de la géographie de la santé a débouché sur des outils relativement complexes, tels que les Systèmes d'informations géographiques comme REBUS à Rotterdam(107). Ils permettent une approche intégrée et rapide de différentes dimensions de la santé : services, besoins, facteurs , etc .

Enfin, il apparaît un nouveau courant en géographie de la santé centré sur les pathologies sociales ou les relations entre facteurs sociaux et la santé . Ce courant qualifié d'hybride(109) s'efforce de mettre en relation les effets et les interactions d'effets entre le niveau individuel et le niveau écologique d'un point de vue socio-sanitaire . L'analyse multi-niveaux en est un exemple(64). En ce qui concerne les facteurs sociaux de la santé, cette démarche met donc en évidence la nécessité de considérer simultanément les facteurs socio-économiques individuels et les facteurs socio-économiques écologiques sur la santé, évitant ainsi de tomber dans l'erreur écologique ou l'erreur atomiste(53). La première survient lorsqu'une relation individuelle est indûment inférée à partir d'observations faites à un niveau d'agrégation supérieur (arrondissement, commune, etc.) tandis que la deuxième provient, à l'inverse, lors d'une imputation au niveau individuel d'une relation existant au niveau agrégé(53). Le premier type d'erreur survient lorsque, par exemple, une relation observée au niveau agrégé entre taux de chômage et incidence de la cirrhose du foie ne tient pas compte de la proportion d'ex-mineurs . Le second type d'erreur peut survenir, par exemple, lorsqu'une corrélation au niveau individuel entre précarité socio-économique et incidence de la leucémie ignore la présence de toxiques (liés à des centrales nucléaires ou décharges) dans les quartiers socialement plus défavorisés. Une étude récente a ainsi montré le poids de la précarité moyenne du lieu sur le tabagisme en contrôlant la précarité au niveau individuel(61).

L'analyse de la distribution géographique de phénomènes de santé peut viser trois types de perspectives théoriques : une perspective d'agrégation dans laquelle les données par entité géographique sont prises comme proxy de données individuelles(101), une perspective écologique où l'appartenance à une entité géographique est modélisée séparément de l'effet individuel et une perspective géographique où l'espace est considéré comme la dimension transversale à tout phénomène de santé, bien plus qu'une variable au même titre qu'une autre . C'est dans ce dernier cadre que se sont développées les études empiriques d'autocorrélation spatiale en ce qui concerne l'incidence de certains cancers(103,113). Ces études permettent en effet de décrire les phénomènes de santé par un angle spatial : la corrélation entre la valeur d'une entité géographique quelconque et la valeur des entités contiguës via, par exemple, un coefficient de Moran (94,95,110), ce qui ne préjuge pas des processus sous-jacents à cette corrélation .

 

  1.  

     

Les indices de précarité socio-économique

Dans le contexte du développement d'une rationalité dans l'allocation locale des ressources, la prise en considération de la précarité socio-économique a été au cœur des expériences britannique et française. Dans le premier cas, il est à noter que toute l'allocation des ressources aux soins primaires se fait en relation avec un indice de précarité , le UPA8 (UnderPrivileged Areas) de Jarman . La troisième formule d'allocation des ressources au secteur hospitalier a, quant à elle, fait une large place aux indicateurs socio-économiques.

La problématique des indices locaux de précarité socio-économique touche à 3 questions :

Utilité des indices

L'utilisation d'un indice global de précarité (IGP) socio-économique poursuit plusieurs objectifs(18) :

En premier lieu, ce type d'indice consacre une reconnaissance de facteurs de risque socio-économiques de la santé d'une manière générale et par pathologie. Certains travaux(19,28,74,97) ont ainsi montré que les affections respiratoires chroniques , le cancer du poumon et les affections cardio-vasculaires connaissaient un gradient socio-économique plus important que la mortalité liée aux accidents de la route ou le cancer du sein .

L'IGP prend toute sa pertinence dans les systèmes de financement à la capitation des services de santé. En ce qui concerne, par exemple, la Grande-Bretagne, l'UPA8 (Under Privileged Areas Index) intervient dans le financement à la capitation des médecins généralistes (MG) depuis 1990(46). Toutes autres choses égales par ailleurs, un médecin généraliste situé dans une zone à forte précarité sociale percevra plus, par personne inscrite, qu'un médecin situé dans une zone socialement plus favorisée . Le Tableau 1 indique les suppléments octroyés au MG par patient inscrit selon la zone d'appartenance . En 1995, environ 35 millions de livres sterling furent octroyées aux MG à titre de supplément pour précarité(48) . Cet aspect du mécanisme de financement a donc comme objectif de favoriser une prise en charge équitable des individus et, par conséquent, d'éviter les phénomènes d'écrémage ou de rationnement qui peuvent pénaliser les plus démunis dans un système de financement à la capitation(51,65) .

  

Tableau 1. Supplément de capitation par médecin généraliste en Grande-Bretagne, selon le niveau de précarité de la zone.

 Niveau de précarité

 Supplément annuel par patient inscrit (£)

Elevée (UPA8 >50)

10.2

Moyen (UPA8 >=40 et <=49.99)

7.65

Faible (UPA8 >=30 et <=39.99)

5.85

Nulle (<=29.99)

0

Source :(80)

 

Une troisième raison d'être des analyses de précarité touche aux stratégies d'intervention. En effet, de nombreux Etats de l'OCDE se sont donné des objectifs quantifiés dans le cadre d'une politique de promotion de la santé de différents problèmes de santé(40,45,83) . Il apparaît en ce qui concerne certains problèmes (suicide, assuétude) que les facteurs sociaux en expliquent largement l'étiologie ce qui ouvre la voie sur des stratégies impliquant le secteur social plus que le système de soins . Cela est manifeste, par exemple, en ce qui concerne la santé mentale(43) .

Un certain nombre d'études épidémiologiques environnementales intègrent désormais une dimension socio-économique dans les modélisations, afin de contrôler la relation entre certaines nuisances toxiques (en liaison avec une décharge, un incinérateur, une centrale nucléaire, etc.) et des problèmes de santé, tels que la leucémie(4,64). La prise en compte de la dimension sociale de la santé permet de modéliser les effets toxiques tout en tenant compte du fait que les populations plus défavorisées (et donc plus à risque) sont également celles que l'on retrouve plus souvent dans les zones à risque de nuisance, avec les risques de sur-contrôle statistique que cette pratique méthodologique présente(1).

 Construction d'un indice global de précarité.

La construction d'un indice global de précarité pose de nombreux problèmes techniques présentés brièvement ici et qui se regroupent autour de questions :

  1. Quelle formule ?
  2. Quels indicateurs ?

 

Les formules

Il existe pour le seul Royaume uni pas moins de 5 formules de calcul d'indices globaux de précarité (IGP)(30,54). Les plus connus sont les indices de Jarman, Townsend et Carstairs . Les indicateurs et le mode de calcul de ces indices est donné dans le Tableau 22 . En ce qui concerne la construction algébrique de l'indicateur, deux problèmes principaux se posent : la transformation et la méthode de combinaison des indicateurs .

Les transformations appliquées aux indicateurs ont pour objectif de leur donner une distribution plus symétrique . Cette symétrie construite permet ainsi de faire des comparaisons dans le temps et l'espace et d'éviter que certaines variables prennent plus de poids dans l'index global que d'autres, du simple fait du biais (skewness)(37) . L'efficacité d'une transformation est évaluée à l'aune de la réduction du biais et de la kurtosis qui s'en suit . Il a cependant été montré qu'il n'existe pas une meilleure méthode de transformation quels que soientt les indicateurs : la transformation logarithmique, par la racine carrée, l'inverse ou autre produisent des résultats non-convergents, par exemple, sur les 4 indicateurs de l'IDG(37). Des doutes sont également émis sur la pertinence de la transformation(71), car on peut légitimement se demander si ce genre d'index est réellement symétrique et si par ailleurs, la transformation ne devrait pas s'appliquer sur le score total plutôt que sur chacun des indicateurs . Il reste, enfin, que la raison d'être de la transformation par l'inverse du sinus dans l'index Jarman reste peu discutée(12) .

La construction de l'index peut se fonder sur deux techniques principales : les méthodes additives (avec ou sans pondération ) et des méthodes multivariées . Les premières ont l'avantage de la simplicité et de la comparabilité mais le désavantage d'une faible validité, car elles somment des poires et des pommes(36) et débouchent sur un double comptage au prorata de la corrélation des indicateurs . Plusieurs travaux récents portant sur la question de la précarité ou des besoins locaux de santé utilisèrent les méthodes factorielles(88,99) ou logistiques(38) ; les premières produisent des facteurs indépendants entre eux (pour peu où la contraintes d'orthogonalité est imposée) en tenant compte de la matrice de corrélation des indicateurs . Si les méthodes factorielles gagnent en validité, elles ont le désavantage d'une moindre comparabilité et d'une certaine fragilité aux changements de variables. Les pondérations utilisées dans l'indice de Jarman s'appuyent sur la perception que des médecins généralistes ont des facteurs sociaux de la santé(52) . Les pondérations produites par cette méthode n'ont toutefois jamais été validées(16). Les méthodes logistiques ont l'avantage de l'interprétation puisqu'elles octroient un poids aux indicateurs selon leur pouvoir explicatif d'un niveau de précarité mesuré (et non plus supposé latent comme dans les méthodes factorielles) . Cela suppose donc des données d'enquête permettant de mesurer d'une part des facteurs socio-économiques (chômage, isolement, possession de voiture) et d'autre part le niveau de pauvreté proprement dit(38).

 

  1. Tableau 22. Quelques indices globaux de précarité .

    Indices

    Indicateurs

     

    Poids

    Formule

     

     

     

     

     

    Jarman UPA8

    Célibataire sans enfant (%)

    Classe sociale 4 et 5 (%)

    Enfants de moins de 5 ans (%)

    Minorités ethniques (%)

    Parents célibataires

    Migrants (%)

    Chômeurs (%)

    Ménages surpeuplés (%)

     

    6.62

    3.74

    4.64

    2.5

    3.01

    2.68

    3.34

    2.88

    Townsend

    Chômeurs (%)

    Ménages surpeuplés (%)

    Ménage sans voiture (%)

    Ménage non propriétaire du logement (%)

     

    1

    1

    1

    1

    Carstair

    Chef de ménage sans qualification (%)

    Chômeurs masculin (%)

    Ménages surpeuplés (%)

    Ménages sans voiture (%)

     

    1

    1

    1

    1

     

    Sources :(30,54)

 Les indicateurs

L'IGP est une sorte de combinaison linéaire de variables plus ou moins corrélées entre elles . Le choix des indicateurs est une phase délicate pour trois raisons :

Le concept de précarité est multidimensionnel et ses dimensions peuvent être plus ou moins indépendantes les unes par rapport aux autres . En ce qui concerne la Belgique, la salubrité du logement n'est, par exemple, pas nécessairement le reflet du niveau de vie des ménages(77) et est en relation avec des variables d'urbanisation, de densité de population.

L'application de l'indice à un ensemble géographique important pose des problèmes de validité . En Grande-Bretagne, l'indice UPA8 a ainsi du être redéfini au niveau de l'Ecosse, du Pays de Galles et de l'Irlande du Nord pour tenir compte des spécificités de chacune de ces régions (80) : la variable relative au logement visait à coller aux spécificités du Pays de Galles, tenir compte des minorités ethniques n'avait pas de sens en Irlande du Nord, la variable relative aux "sans-qualification" fut exclue en ce qui concerne l'Ecosse . Enfin, les seuils furent adapté d'une région à l'autre pour éviter que certaines régions ne bénéficient pas suffisamment du supplément (Pays de Galles et Irlande du Nord en particulier ).

Les IGP sont sensibles au découpage géographique et, en particulier, semblent être plus favorables au zones urbaines(102) . En effet, l'homogénéité d'une zone augmente avec la densité de population et donc la probabilité que cette zone soit qualifiée soit de précaire soit de privilégiée . La ruralité de l'Irlande du Nord ou du Pays de Galle provoque une hétérogénéité plus importante des valeurs au sein de chaque entité géographique , ce qui diminue la probabilité qu'une commune ou un secteur puisse apparaître privilégié ou précarisé . Cela explique que selon l'indice UPA8, dans sa version originale, seuls 1.25 % des sections électorales du Pays de Galles bénéficiaient d'un supplément pour 5.4% en Angleterre : cette situation était inacceptable, car tous les experts s'accordent pour reconnaître la précarité matérielle de cette partie de la Grande-Bretagne . D'où des modifications de seuil et d'indicateurs en ce qui concerne le Pays de Galles et l'Irlande du Nord .

La question de la corrélation intra-classe dans les études écologiques a amené les chercheurs britanniques à travailler à des niveaux de plus en plus fins, passant du district (200.000 personnes) , au "ward" (section électorale, environ 25.000 ha) à l' "Enumeration District (500 personnes) et le code postal (120 personnes) . L'utilisation d'un niveau ou l'autre a des conséquences importantes sur la redistribution des suppléments(71) . L'expérience britannique semble favoriser les estimations faites à des niveaux plus fins(69,80) quoiqu'une étude récente mette en doute la supériorité du ED sur le "Ward"(15).

En ce qui concerne la Belgique, il est déjà exceptionnel d'avoir pu travailler au niveau communal, ce qui demeure, en égard à ce qui se fait outre-Manche, un niveau encore trop grossier .

 

Problèmes et critiquesdes indices de précarité.

L'intégration d'un indice de précarité socio-économique n'est pas sans problème théorique et méthodologique.

  La précarité est-elle un proxy de la santé ou de la charge en soins de santé ?

L'incorporation d'un indice de précarité sociale dans l'allocation des ressources aux MG se heurte toutefois au peu de données disponibles venant confirmer la relation entre précarité et charge de travail des MG(10,80) . Une étude belge récente a mis en évidence la relation entre les facteurs sociaux et la durée de l'hospitalisation(23) . Toutefois , l'étroite relation entre d'une part les APDRG et les facteurs sociaux et, d'autre part, entre chacune de ces deux variables et la durée de séjour tend à réduire le pouvoir explicatif des facteurs sociaux, à APDRG donné . Ce problème , apparemment purement statistique (multicollinéarité des regresseurs) exprime une question théorique plus fondamentale : les facteurs sociaux sont-ils déterminants de l'utilisation des soins de santé au travers et/ou en sus d'un case mix de pathologies plus ou moins lourdes ? Dans le premier cas, la prise en compte des facteurs sociaux ne reste justifiée que si les données de morbidité sont insuffisantes; dans le deuxième cas, l'incorporation de facteurs sociaux garde toute sa justification quelle que soit la standardisation en fonction des pathologies . Sheldon et alii résument le double problème de la manière suivante(98) :

 

De l'allocation à la distribution.

En cette matière, l'utilité d'un indicateur de précarité socio-économique a été fortement contestée car l'allocation de ressources supplémentaires à des régions moins favorisées ne garantit pas, d'une part, que cette allocation se fait à un niveau intra-régional et, d'autre part, que les ressources additionnelles sont utilisées à des fins de meilleure prise en charge des facteurs sociaux de la santé : au contraire il semblerait que ces suppléments alimentent des frais administratifs, des honoraires plus élevés et d'autres activités non-productives(16) . Cette critique affecte, cependant, les modalités de mise en œuvre de la formule de paiement et non sa raison d'être.

 

La négociation

 

L'expérience de la Grande-Bretagne dans la mise en œuvre des indicateurs de précarité est intéressante car elle met en évidence les conflits de logiques et les difficultés techniques qui se posent lors de la mise en œuvre .

En particulier, la mise en œuvre de l'indice Jarman a mis en exergue le poids de la négociation visant à éviter que des régions soient systématiquement exclues des bénéfices du supplément . Elle montra aussi la nécessité de faire varier l'IGP pour tenir compte du polymorphisme de la précarité.

 

La question du seuil

 

L'octroi de supplément aux médecins généralistes se fait selon des seuils de l'indice UPA8 ce qui pose des problèmes de frontières et de changements importants dans les ressources réceptionnées lors de l'actualisation de ces données(47,48).

 

Les sources

L'IGP repose sur des données de recensement et est donc en décalage, en moyenne, de 5 ans par rapport à la réalité. Des alternatives reposant sur des données d'exemption de tiers payant ont été proposées et ont montré plusieurs avantages : leur bonne corrélation avec les indices sus-mentionnés, leur accessibilité et mise à jour(66). En deuxième lieu, les données du recensement sous-estiment les populations nomades, sous-qualifiées et, d'une manière générale, marginalisées(69). Enfin , les résultats des IDC sont sensibles aux modifications de frontières des entités géographiques considérées (sections électorales) : entre 1981 et 1991, 28% des entités géographiques britanniques en question ont connu des modifications substantielles de frontières(69) .

 

 Entre mortalité et morbidité

Une des critiques majeures adressée aux méthodes d'allocation des ressources de type RAWPS (Ressource Allocation Working Parties) est de se fonder sur un indicateur terminal de santé , la mortalité, sous la forme d'un SMR (Standarized Mortality Ratio- Taux de mortalité standardisé) . Asseoir le financement sur le taux de mortalité standardisé, serait comme "allouer des ressources aux morts". L'invalidité et les affections chroniques apparaissent d'une part peu corrélées avec le SMR tout en contribuant nettement à l'utilisation des soins de santé(74) et , d'autre part, apparaissent mieux corrélées avec la précarité socio-économique(3). Le recensement de 1991 en Grande-Bretagne comportait une question relative à l'invalidité et aux affections chroniques de sorte qu'il permettra une meilleure intégration de cette dimension dans l'allocation ultérieure des ressources . Une variable analogue est également utilisée dans la modélisation de la clé de répartition des enveloppes entre organismes assureurs de l'assurance soins de santé belge(31) .

Toutefois, cette critique doit être nuancée . D'une part, la mortalité reste considérée dans tous les grands systèmes de planification de la santé publique comme un indicateur de la santé d'une population(31,40,83), tel que l'illustre le Tableau 23. Par ailleurs, le SMR reste un bon proxy d'un certain nombres d'indicateurs de morbidité(74). En troisième lieu , la mortalité étant temporellement autocorrélée , il est justifié d'allouer les ressources en t selon la mortalité en t-n . Enfin, des études ont montré que les mourants sont parmi les plus gros utilisateurs des services de santé(98).

 

 

Tableau 23. Type d'objectifs de santé publique selon la nature du problème .

 

 

Système de planification

 

Type de problème

Healthy People 2000 (USA)

OMS "Health For All"

Haut Comissariat de la Santé Publique (France)

Plan pour la Santé et le Bien-être (Québec)

Moyenne

Morbidité

56

33

41

53

45

Mortalité

37

35

41

26

35

Bien-être

0

20

12

16

12

Invalidité

7

12

6

5

8

Total (%)

100

100

100

100

100

Source : (67)

 

 

L'allocation prospective locale.

Introduction

L'allocation prospective locale des ressources est un mécanisme par lequel des responsables locaux se voient assignés une enveloppe budgétaire destinée à assurer la prestation d'une gamme large de soins et services de santé de leurs administrés. Elle se fonde sur un système de clé de répartition, dont le contenu traduit souvent les objectifs politiques et la faisabilité en ce qui concerne la redistribution du budget .

L'allocation prospective des ressources s'est surtout implantée en Grande-Bretagne via le "RAWP " (Resource Allocation Working Party). Toutefois, d'autres pays ont développé ou sont en voie d'implanter ce genre de mécanisme: Italie, Australie, Québec et Nouvelle-Zélande(2). Dans le cas australien, chaque Etat dispose d'une certaine autonomie quant au mécanisme utilisé : certains (New South Wales) utilisent un instrument plus ou moins proche d'une capitation pondérée (similaire à la formule de Coopers and Lybrand), tandis que d'autres Etats (Queensland et Australie de l'Ouest) ont récemment abandonné cet outil pour favoriser un mécanisme de type DRG (Diagnostic Related Group). C'est toutefois la situation britannique que nous aborderons. La clé de répartition des organismes assureurs en Belgique est , à notre sens, une sorte de RAWP trans-régional . Trois points seront abordés à ce sujet : les objectifs de l'allocation prospective locale (APL) (2.3.2), les critiques adressées aux APL (2.3.3) et les avancées de la Belgique en cette matière (2.3.4). Les aspects techniques et méthodologiques sont réservés aux annexes (7.1.3, 7.1.4, 7.1.5) .

 

Objectifs de l'allocation prospective locale .

C'est dans le premier rapport RAWP que l'on trouve un exposé précis de l'objectif principal des méthodes d'allocation prospective locale :

 "Garantir, via l'allocation des ressources, une égale accessibilité aux soins de santé aux individus exposés aux mêmes risques"(29)

L'allocation prospective a du sens dans des systèmes de services de santé où le financement est essentiellement public, où la volonté de tenir compte des besoins et pas seulement des demandes est explicite et où il existe une répartition très inégale des problèmes de santé, soit parce que la structure socio-démographique varie fortement d'une région à l'autre, soit parce que les case mix varient géographiquement .

Les objectifs poursuivis par l'allocation prospective des ressources peuvent être un mix des considérations suivantes :

 

Critiques des RAWPS

L'expérience britannique en matière d'allocation régionale des ressources du système des soins de santé est marquée par trois étapes :

La formule de Crossman, introduite en 1971-72, modifie légèrement le mécanisme antérieur d'allocation en introduisant la taille de la population, ce qui était une amélioration par rapport au système antérieur dans lequel le budget était autorégressif . Toutefois, cette formule ne tenait pas encore compte des besoins de santé, ce qui motiva la création du "RAWP" en 1977-1978(73) . Cette dernière introduisit le taux de mortalité standardisé de 0 à 75 ans pour chaque chapitre ICD dans le calcul des enveloppes budgétaires, de sorte qu'une région disposant d'une surmortalité de 10% se voyait affectée d'un budget supplémentaire de 10% . En deuxième lieu, elle tenait également compte des différences de coûts de facteurs, en particulier à Londres .

Ce mécanisme fonctionna jusqu'en 1990 et subit trois critiques :

En 1990, suite aux rapports de Coopers and Lybrand, une nouvelle formule fut proposée ; elle comportait les changements suivants :

A peine ce nouveau mécanisme mis en place, il fut l'objet d'un feu nourri de critiques(12,98) :

Le rapport de Cooper and Lybrand recommandait l'inclusion dans la formule d'un index de précarité socio-économique (UPA8) . Il ne fut toutefois pas suivi par le Gouvernement de l'époque pour au moins deux raisons : la volonté de privilégier le SMR et le doute sur la validité de l'index.

En deuxième lieu, une objection plus ontologique fut mise en avant en ce qui concerne l'hospitalisation comme proxy des besoins : "ce qui est peut difficilement servir de base à une évaluation de ce qui devrait être"(5) .

D'un point de vue plus technique, l'inclusion de quelques variables d'offre dans une équation multiple expliquant l'hospitalisation ne tenait pas compte de la détermination réciproque de l'offre et de la demande(17) . La formule de Coopers and Lybrand reposait sur l'hypothèse d'une offre fixe et exogène à la demande, alors qu'elle est partiellement endogène. La nouvelle formulation, réalisée par l'Université de York, applique un "two-stages least square" afin de contourner le problème de la détermination réciproque de l'offre et de la demande (voir Figure 1) .

 

Figure 1. Modèle simplifié de la demande de soins.

 

Ces critiques, la disponibilité de données de morbidité plus fines (recensement de 1991) entraînèrent une deuxième révision des RAWP par l'Université de York(17,100) . Les modifications les plus importantes consistèrent à utiliser des variables de santé et des facteurs socio-économiques plus précis; le modèle testé permit également de modéliser l'offre comme dépendante des besoins . Le Tableau 2 résume l'ensemble des indicateurs utilisés dans la modélisation et, donc, le calcul des clés de répartition . Il est à noter que ce modèle est construit à partir de données portant sur près de 5000 circonscriptions électorales d'une taille moyenne de 10.000 personnes . Cela permet naturellement une approche un peu plus raffinée que ce que nous proposons plus loin, au niveau communal .

 

 

Tableau 2. Indicateurs pour la construction du modèle d'utilisation dans le RAWP britannique.

 

Données ménages

 

Niveau socio-économique

 

Santé

 

Offre

 

Utilisation
  • identificateur de la zone
  • Autorité sanitaire
  • Population

Proportion d'actifs au chômage

Proportion de retraité vivant seul

Proportion de ménages avec chef de famille manuel

Proportion de personnes à charge d'un ménage monoparental .

SMR

Ratio standardisé de maladie

  • Accessibilité de l'hôpital
  • Accessibilité du MG
  • Maisons de repos
  • Accessibilité des hôpitaux privés

Episodes

Nbre de jours-lits

Coûts

 

Il a été dit plus haut que l'objectif d'équité était au cœur des RAWP . Il prend toutefois un visage particulier lorsqu'il s'agit de préciser la définition sous-jacente de la justice sociale impliquée par leur mise en œuvre. Mooney G.(79) a proposé et discuté diverses opérationalisations en matière d'équité :

  1. Egalisation des dépenses par tête d'habitant
  2. Egalisation des inputs par tête d'habitant
  3. Egalisation des inputs à besoins constants
  4. Egalisation de l'accessibilité à besoins constants
  5. Egalisation de l'utilisation à besoins constants
  6. Egalisation des besoins marginaux satisfaits.
  7. Egalisation de la santé .

Il apparaît que la formule RAWP telle qu'appliquée en GB et en voie d'application en Belgique s'apparente à la troisième, alors que les discours vont plus dans le sens de la quatrième(16,29) . Ainsi que le reconnaît le premier rapport RAWP(29), "l'allocation des ressources s'adresse à la distribution des ressources financières mobilisées pour la fourniture de services divers. En ce sens, elle est concernée par les moyens plutôt que par la fin. Nous ne nous sommes pas préoccupés de la manière dont les ressources sont utilisées"(29).

Le fossé qui sépare ces deux définitions peut contribuer à expliquer que le gradient socio-économique en matière de santé continue à augmenter(70) puisqu'entre 1951 et 1981, l'indice relatif d'inégalité en santé (surmortalité des personnes se trouvant au bas de l'échelle par rapport à ceux se trouvant au sommet) a augmenté, passant de 1.40 à 2.43 en Angleterre et au Pays de Galles .

Quoiqu'il en soit, il est acquis que l'égalisation des inputs à besoins constants est sans doute une condition nécessaire mais non-suffisante à l'objectif d'équité dans les soins de santé.

 

La Belgique et l'allocation locale des ressources .

 

Depuis l'Arrêté Royal du 12 août 1994, la Belgique, en ce qui concerne le système des soins de santé, connaît un mécanisme d'allocation des ressources sous le nom de "responsabilisation des organismes assureurs"(32) mis en place pour la première fois en 1997(31).

Le lecteur trouvera une évaluation de ce mécanisme dans un papier que nous avons récemment publié :

L'allocation des ressources de santé dans le brouillard : réflexions autour de la clé de répartition entre organismes assureurs

 

 

Fonctionnement d'une allocation prospective locale.

En général, ces mécanismes comportent différentes phases, variables d'un système à l'autre :

Estimation de la structure socio-démographique pour chaque région géographique.

Estimation du coût de prise en charge par catégorie de bénéficiaire .

Estimation du budget par région en fonction des caractéristiques démographiques de sa population .

Pondération du budget selon des indicateurs de besoins relatifs (mortalité, morbidité, invalidité, précarité socio-économique, etc.)

Pondération du budget selon des indicateurs d'accessibilité .

Des corrections spécifiques sont ajoutées selon le cas : sur-coût des facteurs dans une région (par exemple Londres), correction pour tenir compte des minorités ethniques .

La dernière formule du RAWP britannique fut élaborée par Carr-Hill et alii(14).

 

Quelles sont les secteurs que l'on peut Rawper ?

L'APL des ressources, en Grande-Bretagne, distingue, d'une part, le système hospitalier et 0communautaire et, d'autre part, le système des soins primaires (MG et Dentistes) . Le système RAWP porte essentiellement sur le premier en distinguant, en son sein, le psychiatrique de l'aigu . La distribution des ressources aux médecins généralistes suit un autre mécanisme de financement, une sorte de capitation pondéré par la précarité socio-économique de la zone où le prestataire est actif .

D'autres études sont en cours , par exemple au Canada, en distinguant 8 secteurs ( santé physique, santé mentale, santé publique, troisième âge, déficiences physiques, déficiences mentales, assuétudes, santé des jeunes(88)) sans toutefois chercher à démêler l'effet de l'offre de l'effet de la demande .

En France, les SROS (Schémas Régionaux d'Organisation des Soins) constituent une sorte de "Rawps" en ce qui concerne l'allocation des ressources d'investissement, tandis qu'en Belgique la législation sur l'assurance soins de santé et, en particulier, la responsabilité des organismes assureurs (voir 0, page * et suviantes) constitue une première avancée vers un mécanisme d'allocation des ressources en fonction des besoins .

 

Aspects méthodologiques des RAWPs .

Les nombreuses publications sur la mise en œuvre des RAWP en Grande-Bretagne et certains essais en France(9) ou au Québec(88) suggèrent que les enjeux méthodologiques sont les suivants :

Il faut modéliser simultanément la triangulation offre-besoin-utilisation (voir Figure 1, page *), afin de séparer l'effet de l'utilisation qui est due à l'offre et celle liée à la demande, tout en reconnaissant que la demande et l'offre s'influencent réciproquement .

Les indicateurs de besoins ne sont jamais que des proxy des besoins réels, en particulier en ce qui concerne les maladies chroniques et l'invalidité .

Il faut pouvoir intégrer des différences de coûts des facteurs de production qui se présentent le plus souvent, par exemple entre les zones selon la densité de la population .

Le niveau de précarité socio-économique semble être un facteur jouant en relation et indépendamment de la morbidité .